«Les musulmans américains existaient avant le 11 septembre 2001» -Mona Eltahaway (édité)

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Edit ce 17 septembre : un autre article de Mona Eltahawy

Ohé, l’Amérique: je suis musulmane. Si on en parlait ?

Source: Service de Presse de Common Ground (CGNews), 17 septembre 2010, www.commongroundnews.org – Reproduction autorisée.

New York – Depuis quelque temps, je veux crier sur les toits que je suis musulmane.

Moi qui suis musulmane et ne porte pas le foulard, on me prend souvent pour une Latina, ou on m’attribue une origine qui correspond à mon teint. Maintenant que l’islamophobie fait son chemin dans ce pays, j’ai envie de leur dire: « Ohé, l’Amérique: je suis musulmane. Si on en parlait? »

C’est cette envie qui m’a amenée sur le trottoir qui jouxte Park51, le centre communautaire avec mosquée qui est projeté près de Ground Zero. C’était le weekend prolongé du Labor Day. Pendant quatre jours, je me suis donc retrouvée à battre la semelle avec un groupe restreint, mais select, de manifestants qui, depuis tantôt trois semaines, se tiennent devant Park51 en brandissant des banderoles où on peut lire: « Paix Tolérance Amour » – comprenez: laissez-les construire.

Ces militants de rue volontaires sont un cocktail de non-musulmans et de musulmans, militants nouvelle génération dans la vingtaine et militants anciens combattants de la génération de leurs parents.

Nous ne prétendions pas défendre ou soutenir les promoteurs spirituels ou financiers de Park51. Nous étions là pour défendre le droit constitutionnel à la construction de Park51. Pour moi, l’opposition à ce projet fait partie intégrante du sentiment anti-musulman largement répandu qui a déjà fait opposition à d’autres projets de mosquées dans tout le pays, autrement plus graves que le cas de Park51.

Parmi les passants à qui j’avais à faire, les plus faciles étaient les « j’ai pas le temps », ceux qui nous remercient ou nous injurient au vol.

A part ça, ces quatre jours sur les trottoirs de Park51 ont été riches d’enseignements. Tout d’abord, j’ai appris à ne pas traiter de racistes tous ceux qui étaient contre. Bon, des racistes, il y en avait, mais mes amis militants m’ont appris ceci: quand on traite les gens de racistes, ils se braquent, et ça déplace le vrai problème – le débat nécessaire sur le droit de construire Park51 – vers une situation où l’on se trouve devant des gens qu’on a vexés en les traitant de racistes.

Et ce débat nécessaire peut être fructueux. Deux femmes qui étaient venues vers nous depuis une manifestation concurrente voulaient nous poser des questions. L’une d’elles, Meryl, voulait en savoir plus sur le djihad. Je répondis que je condamnais tous les actes de violence commis au nom d’une religion quelle qu’elle soit, y compris la mienne. Après avoir débattu du pour, du contre, et de son contraire, Meryl et moi avons décidé de déclarer le djihad contre la violence inspirée par la religion et elle m’a prise dans ses bras.

« Pourquoi n’y a-t-il pas des millions de musulmans comme toi », me dit-elle.

« Ils existent », lui répondis-je.

Les gens me demandaient souvent comment moi, femme, je pouvais rester musulmane alors que l’islam traite les femmes si mal.

Je répondais que ce serait mentir que de prétendre que les femmes jouissent de l’égalité des droits dans les pays à majorité musulmane. J’ajoutais cependant que je faisais partie du mouvement Musawah (égalité), qui cherche à établir la justice et l’égalité dans la famille musulmane en éliminant les interprétations misogynes et machistes de l’islam.

De nouveau, après un long échange d’arguments, Mary aussi me serra dans ses bras.

Un peu plus tard, une autre femme nous dit: « Vous ne voyez pas que vous agressez l’opinion en construisant tout près de Ground Zero? Pensez donc aux familles des victimes ».

« Quand vous me posez des questions de ce genre, vous vous rendez compte que vous partez du principe que je suis moi-même associée aux attentats du 11 septembre 2001 »? ai-je répondu. « Oui, ces hommes étaient des musulmans, mais ils étaient 19. Nous, nous sommes totalement étrangers à ce qui s’est passé ».

« Mais pourquoi ne pas construire ailleurs »?

« Là, vous êtes sur la pente savonneuse. Partout dans le pays, la construction de mosquées soulève des oppositions. Où est la limite? A partir du moment où vous contraignez Park51 à se déplacer, n’importe qui pourra dire: ‘Moi, je ne veux pas de musulmans dans ce quartier. qu’on les déplace' ».

Elle aussi m’a serrée dans ses bras!

Tous les soirs, je rentrais sur les genoux, en me demandant si ma présence avait pu en quoi que ce soit réfréner cette vague de sentiments antimusulmans. En parlant à six ou sept personnes, peut-on réellement changer quelque chose?

Un autre passant, chrétien progressiste selon ses dires, passa un bon moment avec nous pour s’informer sur l’islam. Il était intarissable. Au bout d’une demi-heure, il me remercia disant qu’il n’avait jamais autant appris sur cette religion. Alors, j’en suis convaincue, ma campagne en vaut la peine. « Ohé, l’Amérique: je suis musulmane. Si on en parlait? ».

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* Mona Eltahawy, lauréate de plusieurs prix, journaliste et chroniqueuse, conférencière internationale, est spécialiste du monde arabe et de l’islam. Article écrit pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews).

«Les musulmans américains existaient avant le 11 septembre 2001»
Source : Service de Presse de Common Ground, 10 septembre 2010,
ww.commongroundnews.org – Reproduction autorisée

New York – J’habite à Harlem, dans une rue qui abrite trois églises et une mosquée. Celle-ci se trouve à côté d’une des églises et lorsque des fidèles s’attardent sur le trottoir, il est impossible de les distinguer et dire s’ils sortent de l’église ou de la mosquée. Seul le
foulard de certaines femmes sert d’indice.

Les musulmans américains n’ont pas surgi de nulle part le 11 septembre 2001. Notre histoire à New York et dans le reste du pays antidate effectivement cette date. Certains des premiers musulmans sont arrivés ici par bateau, parmi d’autres esclaves venus de l’autre côté de l’Atlantique.

Et pourtant, la haine du musulman, qui se propage à travers tous les Etats-Unis, veut farouchement creuser un fossé entre la part «américaine» et la part «musulmane» de notre identité.

En l’espace d’une semaine, un chauffeur de taxi newyorkais a été poignardé par un passager qui lui a demandé s’il était musulman ; un ivrogne a fait irruption dans une mosquée pour uriner sur des tapis de prière, on a jeté une brique contre un centre islamique à Madera, en Californie et enfin le FBI enquête sur un incendie provoqué dans une mosquée dans le Tennessee.

«Qu’adviendra-t-il de moi, de ma mère, de notre belle-sœur et de toutes les femmes portant le hijab [le foulard islamique] aux Etats-Unis et à qui il n’est pas nécessaire de demander si elles sont musulmanes pour le savoir ?» me demande ma sœur Nora, étudiante en maîtrise.

Il ne s’agit pas seulement de Park51, le projet de centre islamique et de mosquée dans le quartier du Lower Manhattan, à deux rues de Ground Zero. Au moins quatre autres projets de construction de mosquées dans le pays, à des centaines de kilomètres du «voisinage sacré» de Ground Zero, sont confrontés à une opposition anti-musulmane.

Certains ont essayé de mettre la faute sur l’imam Feisal Abdul Rauf, qui est à la tête du projet de Park51, en l’accusant d’avoir ravivé des blessures encore ouvertes depuis le 11 septembre 2001. Mais il serait impardonnable de faire porter le chapeau à ce dernier et d’oublier que l’ennemi «musulman»a été crée de toute pièce dans ce pays.

A l’époque, suite aux attentats du 11 septembre 2001 , malgré la brève apparition du président George W. Bush dans une mosquée pour montrer qu’il ne tenait pas tous les musulmans responsables de ces attaques, son administration avait pourtant agi comme si c’était le cas, en faisant juger des civils par des tribunaux militaires, en instaurant des prisons secrètes, en détenant des centaines de musulmans sans chef d’accusation, en torturant des détenus et en les soumettant à des séances d’interrogation acharnées et enfin en envahissant deux pays à majorité musulmane.

Lors de la campagne présidentielle de 2008, quand les Républicains ont «accusé» Barack Obama d’être musulman, les démocrates n’ont même pas pris la peine de dire : «et alors ?»

En 2007, alors que la secrétaire d’Etat Hillary Clinton était candidate aux élections présidentielles, un conseiller lui avait suggéré de «critiquer» Barack Obama en le décrivant comme trop étranger et trop exotique pour être à la tête des Etats-Unis en temps de guerre. Elle n’avait pas suivi ce conseil, cependant son équipe de campagne avait fait circuler des photographies de Barack Obama en habits traditionnels somaliens.

Ces incidents, parmi d’autres, ont marqué le début d’une montée du sectarisme, qui fait désormais partie du discours officiel de certains politiques. Lorsqu’un ancien gouverneur et candidate à la vice-présidence des Etats-Unis (Sarah Palin) et un ancien Speaker et d’autres membres de la Chambre des Représentants colportent des propos caricaturaux des plus grossiers sur des musulmans, on ne peut comprendre que le sectarisme gagne du terrain.

Je n’ai pas oublié les actes de violence ou les tentatives d’attentats commis par des musulmans américains cette année. La communauté musulmane américaine n’a pas tourné autour du pot. Elle a fermement condamné ces actes tout refusant d’être coupable du fait d’une affiliation religieuse avec les auteurs de ces crimes.

D’ailleurs, nous refusons de disparaître. Nous ne permettrons pas à des fanatiques de mettre en lambeaux le tissu de l’Amérique. Ces musulmans qui s’attardent sur le trottoir de la mosquée, dans ma rue, sont un microcosme de l’Amérique. Nous votons – et nos votes comptent, surtout dans les Etats qui peuvent basculer dans un camp ou dans l’autre. Ce chauffeur de taxi poignardé à New York n’est qu’un parmi les milliers de musulmans qui conduisent 50 pourcent des taxis new yorkais.

Nous sommes les enseignants, les comédiens et même les Rima Fakih (reines de beauté) de l’Amérique.

Nous sommes aussi les médecins de l’Amérique. Récemment, alors que je regardais une de ces séries médicales à la télévision en compagnie de ma belle-sœur, gynécologue-obstétricienne, elle me raconta une anecdote qui résume toute la situation : «l’autre jour, j’ai fait accoucher une patiente dont le mari, soldat basé en Afghanistan, assistait à l’accouchement par Skype cam et je me suis dit : me voilà, moi obstétricienne musulmane, avec mon foulard sur la tête, en train d’aider à mettre au monde un bébé dont le père est un soldat américain stationné dans un pays musulman.»

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* Journaliste et chroniqueuse primée, Mona Eltahawy donne également des conférences internationales sur les questions touchant le monde musulman et arabe. Article rédigé pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews).

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