« Un chef d’Etat subsaharien peut le cas échéant obtenir le départ d’un ambassadeur. Mais de là à désigner son successeur, il y a une marge. » Marge pour le moins étroite à l’évidence.

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Voilà une phrase lue dans l’article « Fin de bail pour Jean-Christophe Rufin à Dakar » publié sur lexpress.fr

Par Vincent Hugeux, publié le 10/06/2010 à 13:35

Nicolas Normand succédera en juillet à l’écrivain-diplomate au poste d’ambassadeur de France au Sénégal. Conformément au voeu du président Abdoulaye Wade.
Exit Jean-Christophe Rufin. Ambassadeur de France à Dakar(Sénégal) depuis juin 2007, l’écrivain sera remplacé prochainement par Nicolas Normand, jusqu’alors en poste à Brazzaville.
La décision, officialisée mercredi 9 juin en Conseil des ministres, mais qui ne figure pas dans le compte-rendu dudit Conseil, a été signifiée dans l’après-midi à l’intéressé par un télégramme diplomatique émanant de la direction des ressources humaines du Quai d’Orsay.
Wade vote Normand!
A ce stade, aucune autre affectation ne lui a été proposée. Une certitude: le romancier, membre de l’Académie Française et lauréat du Prix Goncourt, quittera quoiqu’il arrive ses fonctions le 30 juin au plus tard.
Cette décision tend à confirmer la persistance de l’influence des vétérans de la Françafrique, à commencer par celle de l’avocat Robert Bourgi. Le président sénégalais Abdoulaye Wade, qui avait jadis exigé et obtenu la tête de Jean-Didier Roisin, aujourd’hui en poste à Libreville (Gabon), ne faisait pas mystère de son souhait de voir Nicolas Normand officier sur ses terres.
« Un chef d’Etat subsaharien peut le cas échéant obtenir le départ d’un ambassadeur, nous avait confié voilà peu un éminent ‘Africain’ du Quai, dans les coulisses du sommet Afrique-France de Nice. Mais de là à désigner son successeur, il y a une marge. » Marge pour le moins étroite à l’évidence.

En supplément

Article – Sommet Afrique- France: une histoire de fauteuils
Dans son discours d’ouverture, Nicolas Sarkozy a appelé à faire une place à l’Afrique dans la « gouvernance mondiale ». Reste à savoir laquelle. Et c’est là que l’affaire se corse.
Allez, un petit quiz azuréen, histoire de gravir le Sommet d’un pas alerte.
– Question n°1. Qui a dit en 2006, avant de récidiver l’année suivante: « Economiquement, la France n’a pas besoin de l’Afrique »? Réponse: Nicolas Sarkozy.
-Question n°2. Qui a dit ce 31 mai 2010 à Nice: « La France et l’Europe ont autant besoin de l’Afrique que l’Afrique a besoin de l’Europe et de la France »? Réponse: Sarkozy Nicolas.
Mieux, à la faveur de son allocution d’
ouverture du 25e Sommet Afrique-France, le président a exalté la vitalité du continent noir, son « formidable dynamisme démographique » et ses « ressources considérables », qui en font « la principale réserve de croissance de l’économie mondiale pour les décennies à venir ». « L’Afrique, a insisté le successeur de Jacques Chirac, est notre avenir. »
« Anormal que l’Afrique ne compte aucun membre permanent à l’ONU »
Lors de la cérémonie, expédiée en 15 minutes Rolex en main, le locataire de l’Elysée a aussi décliné les trois thèmes soumis cette fois à la sagacité des 38 chefs d’Etat, de gouvernement et de délégations rassemblés ici. A commencer par « la place de l’Afriquedans la gouvernance mondiale« . En clair, son poids au sein des instances onusiennes. « Il est absolument anormal, martèle Sarkozy, que l’Afrique ne compte aucun membre permanent » au sein d’un Conseil de sécurité des Nations unies qui doit, à ses yeux, être réformé sans tarder.
Hautement sensible,
l’enjeu aura d’ailleurs fourni le plat de résistance du déjeuner qui a réuni ce lundi l’hôte du sommet et son homologue sud-africain Jacob Zuma. Au nom du consensus continental ébauché en 2005, les éminences africaines exigent deux sièges de membre permanent (MP) au sein dudit Conseil. De même, elles réclament a minima deux strapontins supplémentaires parmi les membres non permanents (MNP), ce qui porterait le total à cinq.
Paris et Londres, en revanche, défendent une formule intermédiaire « d’élargissement progressif »: il s’agirait, dans un premier temps, d’allonger significativement la durée du mandat des MNP, sans pour autant leur accorder le droit de veto réservé pour l’heure au Cinq majeur (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni). Puis d’octroyer au « berceau de l’humanité », un des deux fauteuils réclamés en première classe. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette côte mal taillée n’aura pas déchaîné l’enthousiasme de Zuma.
Quel porte-voix pour l’Afrique?
Déjà, la veille, le contentieux avait enfiévré six heures durant la réunion des ministre des Affaires étrangères. D’ordinaire, ce genre de rencontre préparatoire a pour vocation de déminer l’arène où s’ébroueront les chefs d’Etat et de gouvernement. Tel ne fut pas le cas dimanche, du fait notamment de la pugnacité de l’Afrique du Sud et de la Tanzanie. « Prologue pour le moins tumultueux », confie un officiel subsaharien. « Certains, précise cet autre délégué, cité par l’AFP, ont contesté la légitimité de la France à lancer un tel débat. » A la clé, ce diagnostic pour le moins alambiqué livré par le patron du Quai d’Orsay: « On n’a pas trouvé de solution, a ainsi admis Bernard Kouchner. Mais on a trouvé la manière de commencer à se donner les moyens d’être réalistes. » Donc, si l’on s’en tient au principe soixante-huitard, de demander l’impossible. Imaginons un instant que, touchés par la grâce, les cadors de l’Onu invitent un frère d’Afrique à rejoindre leur cénacle. Reste à savoir à qui devrait échoir une telle mission.
Locomotive du continent,
la Nation Arc-en-Ciel revendique naturellement cet honneur. Mais nul doute que d’autres prétendants entreraient volontiers en lice. Citons l’Egypte, le Nigeria et, sinon le Sénégal, du moins son président Abdulaye Wade. Il en va du rôle de porte-voix de l’Afrique comme de la candidature unique de l’opposition à la veille d’un scrutin: chacun en approuve le principe à condition que nul autre ne prétende l’incarner.

Site Le sommet Afrique-France sous le signe du business
Le sommet France-Afrique sous le signe du business
L’Expansion.com –  01/06/2010
Au sommet de Nice, les discussions se concentrent ce mardi sur l’économie. Au menu, les enjeux climatiques et le développement.
Les enjeux climatiques et le développement étaient mardi au centre de la deuxième et dernière journée de débats du 25e sommet Afrique-France de Nice,
au lendemain d’échanges nourris sur l’implication de l’Afrique dans la gouvernance mondiale.
La place de l’Afrique dans les échanges commerciaux de la France s’est recroquevillée autour de 2%, après avoir occupé plus de 40% dans les années 60.
Lire aussi sur Africa Eco: Des entreprises s’engagent à bannir la corruption en Afrique
Si les positions du pétrolier Total au Gabon ou au Congo, du groupe nucléaire Areva au Niger ou des industriels Bolloré ou Bouygues en Côte d’Ivoire ne sont pas directement menacées, Paris veut pouvoir être compétitif au-delà de ses anciennes colonies.
« Ces dernières années, on a beaucoup réduit les risques pour les investisseurs en travaillant sur la gouvernance. Et avec la crise, on s’est rendu compte que le risque n’était pas seulement en Afrique, où la croissance est restée positive malgré un ralentissement », résume pour l’AFP Donald Kaberuka, président de la
Banque africaine de développement (BAD).
L’arrivée massive des Chinois, qui ont décuplé leurs échanges commerciaux avec le continent en dix ans pour atteindre plus de 108 milliards de dollars fin 2008, mais aussi d’autres pays émergeants comme le Brésil ou l’Inde, a poussé Paris à réagir.
Total, qui a réalisé en Afrique sa « plus grosse croissance en terme de production et de réserves » en 2009, veut « veiller à ce que les Chinois ne soient pas seuls à venir en aide » au continent
, a expliqué au journal Les Echos le PDG du groupe, Christophe de Margerie.
L’idée est aussi d’adopter une approche pragmatique, « décomplexée », avait insisté lundi le président français Nicolas Sarkozy, en aidant le privé pour doper les secteurs de croissance et en encourageant partenariats et transferts de technologie.
« En Afrique, à chaque fois que j’investis un dollar, le retour sur investissement est de 5 dollars. Ce qui est important, c’est le climat des affaires », martèle Donald Kaberuka.
Quelque 230 entreprises françaises et africaines, conviées pour la première fois à un sommet Afrique-France, ont adopté à ce sujet une charte visant à bannir la corruption et louant la transparence.
Pour Michel Roussin, ex-ministre français de la Coopération et cadre d’EDF, les rencontres entre acteurs économiques ont été bénéfiques. « On sort du langage de consensus pour évoquer les vrais problèmes. Le patronat kenyan va signer un protocole d’accord avec le Medef (patronat français) dans le domaine de la formation et les relations avec les institutions internationales », a-t-il déclaré.
Seule fausse note, l’absence de syndicats africains et français, invités mais trop tardivement pour accomplir « un travail sérieux », selon l’un d’entre eux.
A Nice, la France défend aussi le rôle de « moteur » pour un développement durable, avec la volonté de créer une dynamique avec les Africains sur les questions climatiques et la recherche de sources d’énergie propre.
Un nouveau consortium de 12 entreprises françaises (dont Areva, Total, Veolia), baptisé Africasol, a ainsi été présenté pour un projet d’électrification en Afrique subsaharienne à partir de la « concentration solaire thermodynamique ». Dans ce processus, la chaleur des rayons solaires, captée par des miroirs, est convertie en vapeur et fait tourner des turbines.
« Nous proposons une solution alternative et durable, avec des centrales d’une durée de vie de 40 ans, équivalente aux centrales nucléaires », explique à l’AFP le concepteur du projet, Jules-Armand Aniambossou, un ingénieur franco-béninois.

Article Vie et écriture de Jean-Christophe Rufin
Vie et écriture de Jean-Christophe Rufin
Par Tristan Savin, publié le 26/05/2010 à 07:00
Inspiré de faits réels comme souvent chez Jean-Christophe Rufin, Katiba nous entraîne dans les arcanes de la diplomatie et du terrorisme international. De la géopolitique, l’aventure en prime.
[…] Pionnier de l’humanitaire, il est de tous les combats : Nicaragua, Rwanda, Balkans, Afghanistan… L’homme de terrain devient homme de lettres. Mais ses premiers romans sont refusés par les éditeurs. Idéaliste déçu, humaniste sans trop d’illusions, il dénonce le « piège humanitaire » dans un premier essai, en 1986.
Ce passionné d’histoire, diplômé de l’Institut d’études politiques, devient tour à tour conseiller du secrétaire d’Etat à l’action humanitaire Claude Malhuret, conseiller du ministre de la Défense François Léotard pour les relations Nord-Sud, vice-président de Médecins sans frontières, administrateur de la Croix-Rouge française. Il supervise une mission humanitaire en Bosnie et permet la libération d’une dizaine d’otages français détenus par les Serbes […]
Le héros de
L’Abyssin était un pharmacien nommé ambassadeur du Négus à la cour de Louis XIV. Celui de Katiba est… la veuve d’un consul. Le roman s’inspire de faits réels, dont l’assassinat de quatre touristes français en Mauritanie en décembre 2007 (peu après la prise de fonctions de Rufin à Dakar), un attentat suicide devant l’ambassade de France à Nouakchott, puis l’attaque contre des touristes italiens au nord du Mali en 2009. Après l’assassinat des ressortissants français, Rufin aida, paraît-il, la DGSE à traquer les hommes d’Al-Qaida.
Il parle donc en connaissance de cause et nous initie aux arcanes de la diplomatie sur le nouveau terrain de jeu du terrorisme.
Grâce à lui, on saura désormais ce qu’est une « katiba », à savoir un camp d’entraînement mobile pour combattants islamistes en Afrique du Nord. Il nous fait découvrir ces barbouzes barbues venues du Nigeria, d’Algérie, du Mali – avec une nette préférence pour les Maures venus du désert. Le romancier a l’ingéniosité d’introduire un peu de douceur dans ce monde de brutes à travers le mystérieux personnage de Jasmine, élégante intrigante du Quai d’Orsay, dont on se demande, tout au long du roman, mené de main de maître malgré quelques clichés, s’il s’agit d’une taupe ou d’une victime consentante. Le plus cosmopolite de nos romanciers a autant de virtuosité qu’un réalisateur hollywoodien. Il déroule tranquillement la pellicule de son film, devant un parterre de spectateurs emportés par le rêve.

Article François Busnel a lu « Katiba » par Jean-Christophe Rufin
Complot au Sahara
Par François Busnel, publié le 12/05/2010 à 09:30
Et si la fiction était le meilleur moyen de comprendre le monde actuel ? C’est le pari – gagné – de Jean-Christophe Rufin. Dans un thriller captivant, le nouvel académicien (il a été élu au fauteuil d’Henri Troyat) fournit quelques clefs qui permettront de comprendre les ressorts du terrorisme international. Le Prix Goncourt 2001, ancien médecin humanitaire, est aujourd’hui ambassadeur de France au Sénégal. Autant dire qu’il est soumis à un sérieux devoir de réserve lorsqu’il s’agit de s’exprimer sur la façon dont la France mais aussi l’Europe, le Maghreb et les Etats-Unis mènent la lutte secrète contre Al-Qaeda.
Un roman, en revanche, permet de tout dire. Il suffit de maquiller les personnages et de déplacer les situations. A ce jeu-là Jean-Christophe Rufin excelle. Katiba est sans doute son meilleur roman depuis longtemps. On y croise une jeune femme tiraillée entre deux pays et deux légitimités, un médecin canadien au prénom russe qui renseigne une agence privée, le patron de ladite agence (déjà croisé dans Le Parfum d’Adam, le précédent thriller de Rufin), un trafiquant du désert prêt à devenir croisé de la foi pour maintenir ses petites affaires… Et, évidemment, aucun de ces héros n’est ce que le lecteur croit avoir deviné. C’est que Rufin suit à la lettre la leçon de John le Carré : un bon récit d’espionnage, lorsque ne s’opposent plus deux blocs mais des dizaines, suppose une intrigue construite comme un mille-feuille. Le mille-feuille, ici, c’est le suspense. Jusqu’au bout, on ignorera l’identité véritable des terroristes. Et le chapitre final réserve bien des surprises…
Chez Rufin, les « dangereux intégristes » sont en réalité des jeunes gens en rupture de ban, les organisations terroristes sont gangrenées par les rivalités internes et les agents secrets infiltrant les extrémistes musulmans sont à usage double ou triple… Ce roman épatant pose clairement la question : le terrorisme ne se nourrit-il pas, aujourd’hui, des ratés de l’intégration ? Le parcours de Jasmine, Algérienne reniée par l’Algérie et Française refusée par la France, est à cet égard terriblement édifiant.
Katiba montre également ce que l’Amérique et ses alliés ont du mal à voir : le plus grand terrain d’expansion de la menace terroriste n’est plus l’Afghanistan, c’est le Sahara. Notre voisin.

Article – Rufin l’Africain
Par François Busnel, publié le 31/01/2008
Médecin, humanitaire, écrivain et, aujourd’hui, ambassadeur à Dakar… Ce nomade aux destins multiples, qui se raconte dans Un léopard sur le garrot, a retrouvé l’Afrique de ses débuts. Rencontre avec un Français sous les tropiques.
De notre envoyé spécial à Dakar
Il a le téléphone portable vissé à l’oreille. L’ambassadeur de France à Dakar sort en trombe de la 607 climatisée avec chauffeur et fanion tricolore, s’engouffre dans un sas blindé, passe les portiques de sécurité puis grimpe quatre à quatre les escaliers qui mènent à son vaste bureau meublé de chaises Louis XVI. Rédiger un télégramme diplomatique, préparer un dîner avec le président Abdoulaye Wade, organiser le séjour semi-officiel du ministre français de la Pêche, rester en contact permanent avec les autorités qui galopent après les terroristes responsables de l’assassinat de quatre Français en Mauritanie et se sont réfugiés quelque part au nord du Sénégal… S’il pensait couler des jours tranquilles sous les tropiques pour écrire ses livres, Jean-Christophe Rufin en est pour ses frais !
« Non, je n’ai jamais songé à une carrière d’écrivain diplomate, s’insurge-t-il. En acceptant Dakar, la troisième ambassade de France par la taille et le personnel, je voulais, au contraire, me confronter à une discipline d’action qui se marie mal avec l’écriture. » De fait, depuis son arrivée, en septembre 2007, l’auteur de Rouge Brésil n’a rien écrit. Tout juste a-t-il mis le point final à ce récit autobiographique dans lequel, avec pudeur et style, il fend enfin l’armure, raconte l’itinéraire d’un gosse abandonné par son père qui entrera en médecine comme on entre en religion, par admiration pour le grand-père médecin de campagne qui l’a élevé après son retour de Buchenwald, puis comprendra qu’il lui faut devenir nomade alors que tout conspire à faire de lui un sédentaire – une idée née d’une conversation avec le romancier américain Douglas Kennedy lors d’une conférence sur l’écriture à l’île Maurice, l’an dernier.
Jean-Christophe Rufin est une énigme. On le prend pour un carriériste et un ambitieux parce qu’il a toujours eu l’air plus jeune que son âge – 55 ans – qu’il préfère opposer à l’inconséquence du monde un petit rire fin plutôt qu’un long gémissement, qu’il a du succès comme médecin, comme humanitaire et comme écrivain. Rufin n’est pas celui qu’il laisse penser. C’est un homme qui, tout simplement, entend vivre plusieurs vies en une vie. « Je crois aux destins multiples », affirme-t-il. En effet, pourquoi choisir ? S’enfermer dans une voie – quand bien même serait-elle royale – la suivre tout au long de son existence comme le laboureur creuse un sillon, très peu pour lui… Il veut tout voir, tout essayer, tout épuiser. Vivre intensément. Et tant pis s’il est déçu. Dans Un léopard sur le garrot, titre emprunté à un vers de Léopold Sédar Senghor, ce natif du Berry raconte comment il quitta la médecine qu’il aimait tant puis y revint, fréquenta les cabinets ministériels puis s’en éloigna, devint conseiller culturel puis démissionna… Neurologue, psychiatre, humanitaire, romancier, essayiste : l’homme confesse une certaine « schizophrénie », sait qu’il restera toujours un « marginal » aux yeux d’un monde des lettres corseté et qui n’apprécie pas les trajectoires toutes de courbes et d’errances. Alors, quand, en juin 2007, Bernard Kouchner, nouveau ministre des Affaires étrangères, l’appelle pour lui proposer de devenir ambassadeur de France au Sénégal, il hésite à peine : « Euh… Tu n’aurais pas autre chose ? » Rufin songe à Madagascar,
parce qu’il a toujours préféré la montagne à la mer. « Non. » Ce sera donc Dakar. Kouchner, soucieux d’ouvrir la diplomatie à la société civile et d’en finir avec la « Françafrique », aurait préféré voir à ce poste un autre écrivain, l’académicien Erik Orsenna, mais celui-ci a décliné l’offre. Rufin ? Kouchner ne cache pas qu’il s’en méfie, mais son entourage le presse de choisir l’ancien président d’Action internationale contre la faim (AICF), d’oublier l’affront que lui fit ce jeune interne en 1979, lorsque, à peine coopté à Médecins sans frontières, il fut le jouet de Claude Malhuret et mena le putsch qui destitua Kouchner.
Depuis, les deux hommes se sont apprivoisés. Dans son livre, Rufin reconnaît avoir été manipulé et jure qu’on ne l’y reprendra plus. Avis, donc, aux jaloux et aux envieux qui pensent qu’il sera, à Dakar, le jouet de Sarkozy. L’affaire n’est pas gagnée pour autant. « C’est un boulot de dingue, confie Rufin. Les premiers jours, je me suis demandé ce que je faisais ici. » La diplomatie suppose en effet une souplesse intellectuelle que Jean-Christophe Rufin croyait ne pas posséder. Lui qui n’a guère pratiqué l’alpinisme mondain lorsqu’il fut membre des cabinets ministériels ou lauréat du prix Goncourt, que la langue de bois exaspéra lorsqu’il dirigeait des organisations humanitaires (au point qu’il se querella vivement avec ses rivaux par médias interposés), qui claqua plusieurs fois la porte de la fonction publique en faisant part à qui voulait l’entendre de sa détestation des mandarins, et qui, lorsqu’il se rendait sur des zones de guerre, ne se pavanait pas chemise au vent sous les flashs des photographes, cet homme-là a dû se couler dans les vêtements du représentant de la France à l’étranger.
Pour l’occasion, il s’est d’ailleurs fait tailler un costume sur mesure. Complet de lin beige, cravate impeccablement nouée, chemise blanche et mocassins Tod’s dernier cri, l’ambassadeur respecte le protocole, strict. Celui que l’on avait l’habitude de voir arriver en jean-baskets au conseil d’administration de France Télévision et, un temps, au conseil de surveillance de L’Express est entré dans la peau d’un autre. Est-il, pour autant, devenu un courtisan ? « Aimable et poli, se défend l’intéressé. Et puis, je suis dans l’exercice de mes fonctions. » Tout est là, dans cette approche pascalienne de la vie : Rufin ne confond pas les grandeurs d’établissement et les grandeurs naturelles ; il sait que l’habit fait le moine et Jean-Christophe disparaît sous « Son Excellence ».
« Sa grande chance, c’est de ne pas être diplomate », estime Michel Barnier, ministre de l’Agriculture, qui connaît Rufin depuis vingt ans. « Dans certains pays, qu’un ambassadeur ne soit pas du sérail ne serait pas compris ; ici, au Sénégal, c’est très apprécié », renchérit Cheikh Tidiane Sy, le ministre de la Justice, qui reconnaît que Rufin a apporté « chaleur et délicatesse » à un moment où les relations entre la France et son pays commençaient à se tendre sérieusement. Notamment après la polémique lancée par l’affaire des tests ADN et le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, en juillet dernier, où le chef de l’Etat français reprenait maladroitement l’expression si prisée des tenants de la Françafrique : l’« homme africain ».
Rufin a su se faire apprécier du « Vieux », comme on appelle ici le président Abdoulaye Wade. Assane Ba, conseiller particulier du président sénégalais, confirme : « Désormais, il a la confiance personnelle du président Wade. Il est très apprécié car il sort beaucoup, se promène en ville, à travers le pays, part à la rencontre du peuple, s’intéresse à tout et à tout le monde. Il peut comprendre un pays en profonde mutation. C’est un signe très fort qu’envoie la France à travers lui les anciens ambassadeurs préféraient rester parmi les officiels et ne voyaient que les hommes politiques. Du coup, son franc-parler passe sans problème. » Et puis, il y a, pourquoi ne pas le dire, son épouse, Azeb, la princesse éthiopienne rencontrée au plus fort de la famine de 1984, lorsque le jeune médecin humanitaire arpentait l’Afrique de l’Est dévastée par la guerre civile, expérience qui lui inspira Les Causes perdues, prix Interallié. « Azeb, ici, c’est notre soeur », lance Assane Ba.
Avec ses deux filles, Azeb Rufin offre une nouvelle vie à la résidence des ambassadeurs, immense palais blanc niché sur le cap Manuel, la corniche de Dakar. En quelques mois, ce bunker est devenu une véritable auberge espagnole. Les Rufin y reçoivent les hommes politiques français et sénégalais, mais aussi les artistes et les intellectuels de tous bords. Les chanteurs Youssou N’Dour et Ismaël Lo, le sculpteur Ousmane Sow sont devenus des habitués du cap Manuel, même si ces derniers ne cachent pas leurs désaccords avec l’actuel chef de l’Etat. Evidemment, les réceptions de l’ambassadeur vous ont un petit côté Ferrero Roche d’or. On boit du champagne en smoking et robe du soir servi par un personnel en livrée, on soupe dans une vaisselle siglée « République française » et l’on fume le cigare sur la véranda en regardant danser les lumières de Gorée, l’île aux esclaves. « L’ambassadeur de France, c’est un peu la reine d’Angleterre : les gens s’attendent à un certain apparat », s’excuserait presque Jean-Christophe Rufin. « Je n’ai pas mis les pieds ici pendant les mandats de ses deux prédécesseurs, raconte Ousmane Sow, mais, avec Rufin, c’est différent. On peut parler de tout sans crainte ; il est drôle et pétille d’idées qu’il s’attelle ensuite à transformer en actes. ça nous change ! » « En Afrique, tout est affaire de légitimité, renchérit Assane Ba. Mais elle ne s’acquiert pas comme un diplôme. L’Afrique n’est plus celle des réseaux d’antan ! » Ici, Rufin est légitime aux yeux des autorités à cause de son passé de médecin humanitaire ;
il l’est aux yeux des artistes par son activité d’écrivain ; il le devient aux yeux du peuple par la grâce de son épouse, une Ethiopienne à Dakar. Les hôpitaux, nouvelles écoles de la vie ? La médecine comme « propédeutique humaniste », réplique Rufin dans son livre : « La médecine m’a formé à écouter, à mettre les autres à l’aise, à leur faire accepter mes traitements. »
A Dakar, pourtant, certains soirs, l’ambassadeur se sent en exil. Pas question de bourlinguer sans escorte, interdiction de se déplacer sans autorisation. Pour cet angoissé, qui calme ses accès de mélancolie en se lançant à corps perdu dans l’action mais s’endort depuis vingt ans à renfort de somnifères, la cage est dorée mais reste une cage. Il a signé pour trois ans. Il affirme qu’il tiendra. On le croit : à l’aise comme un général sur un champ de bataille, il a l’étoffe des preux. Mais Jean-Christophe Rufin confesse se poser des questions, s’interroger sur la possibilité de rester soi-même lorsque l’on est en représentation permanente, lorsqu’on vous donne à longueur de journée du « Son Excellence ». Assane Ba connaît la réponse. Il pose sa main sur son épaule et lance à la nuit ce proverbe africain :
« Le tronc d’arbre a beau séjourner dans l’eau, il ne se transformera jamais en crocodile ».

Une réponse

  1. Bonjour bonjour !

    Je ne connaissais pas Monsieur Collard-de-la-Griffe-Noire 🙂 malgré son évidente réputation (après recherche sur le Net) mais oui, foi de Parisienne, il pourrait insuffler un peu de fantaisie anti-intellectualiste à la noble institution…Je ne peux qu’adhérer à sa candidature au vu de ses têtes de turc chez les écrivains, notamment le dernier…Non, je ne nommerai personne, vous trouverez par vous-même comme dirait FH 😉

    Bienvenue sur mon blog et merci de votre visite 😉

  2. D’ailleurs, a propos de membre de l’Académie, ll parait que le réputé libraire M. Collard, qu’on voit à la librairie Griffe Noire, envisage de se présenter pour devenir académicien !. Je trouve que ça ferait un nouvelle élan à la noble institution, foi de Saint Maurien. Vous ne trouvez pas