Parler à ma place : «Encourager les lecteurs à entreprendre un cours d’autodéfense intellectuelle» by Noam Chomsky

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«Bien-entendu, nous avons un objectif : à savoir, encourager les lecteurs à entreprendre ce qu’on pourrait appeler « un cours d’autodéfense intellectuelle, » et suggérer des façons de procéder ; en d’autres termes, aider les gens à saper les efforts fervents visant à « fabriquer le consentement » et à les transformer en des objets passifs plutôt que des acteurs qui contrôlent leur propre destin.»

Sans blabla de ma part, voici des extraits de l’introduction et de la conclusion du livre La Fabrication du consentement sur le site de Noam Chomsky himself «Auto défense intellectuelle».

La Fabrication du consentement
De la propagande médiatique en démocratie

Noam Chomsky & Edward Herman
VO : Manufacturing Consent: The Political Economy of the Mass Media, Pantheon Books, 1988 (rev. 2002)
VF : Agone, 2008, Nouvelle édition revue & actualisée

Parution : 24/10/2008
ISBN : 978-2-7489-0072-9
672 pages
12 x 21 cm
28.00 euros

Introduction
Des années de recherches consacrées aux médias nous ont convaincus que les médias sont utilisés pour mobiliser un vaste soutien aux intérêts particuliers qui dominent les sphères de l’État et le secteur privé [I]. Leurs choix de mettre en avant un sujet ou d’en occulter d’autres s’expliquent souvent beaucoup mieux dans un tel cadre d’analyse, et dans certains cas avec la force de l’évidence.
Il n’aura échappé à personne que le postulat démocratique affirme que les médias sont indépendants, déterminés à découvrir la vérité et à la faire connaître ; et non qu’ils passent le plus clair de leur temps à donner l’image d’un monde tel que les puissants souhaitent que nous nous le représentions. Ceux qui dirigent les médias crient haut et fort que leurs choix éditoriaux sont fondés sur des critères impartiaux, professionnels et objectifs – ce que cautionnent les intellectuels. Mais s’il s’avère effectivement que les puissants sont en position d’imposer la trame des discours, de décider ce que le bon peuple a le droit de voir d’entendre ou de penser, et de «gérer» l’opinion à coups de campagnes de propagande, l’idée communément acceptée du fonctionnement du système n’a alors plus grand-chose à voir avec la réalité
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Conclusion
Prenant la défense des médias, accusés d’être devenus trop indépendants et trop puissants pour ne pas menacer l’intérêt public, Anthony Lewis du New York Times écrit : «La presse est protégée [par le 1er Amendement] non pour sa propre fin mais pour permettre le fonctionnement d’un système politique libre. En fin de compte, ce qui importe n’est nullement le journaliste ou le rédacteur, c’est la capacité critique du citoyen à l’égard du gouvernement.»
Ce qui est en jeu quand nous parlons de liberté de presse, «c’est la liberté de pouvoir remplir une fonction au sein du système politique (1)». Pour Powel, membre de la Cour suprême de justice cité par Lewis, «nul citoyen ne peut obtenir pour lui-même les informations qui lui sont nécessaires pour s’acquitter avec intelligence de ses responsabilités politiques. […] En donnant au public la possibilité d’exercer un contrôle significatif sur les mécanismes politiques, la presse assume la fonction cruciale d’accomplir le 1er Amendement dans toute sa dimension sociétale». Ainsi que le déclara le juge Gurfein en reconnaissant le droit du New York Times à rendre public les Pentagon Papers, après que le gouvernement eut échoué à prouver tout risque de compromission de la sécurité nationale par une publication qui l’embarrassait : «Une presse prompte à monter au créneau, une presse obstinée, une presse omniprésente, c’est ce que se doivent de supporter les détenteurs du pouvoir afin que soient préservées les valeurs bien plus fondamentales de la liberté d’expression et du droit de savoir de chacun.»
Nous n’acceptons pas le point de vue selon lequel la liberté d’expression doive être défendue en des termes instrumentaux, au titre de sa contribution à quelque bien supérieur. Elle est une valeur en soi. Mais ceci mis à part, ces emphatiques déclarations expriment des aspirations valables et, au-delà, correspondent sûrement à l’idée que les médias américains se font d’eux-mêmes. Notre objectif, tout au long de ce livre, aura été d’éclairer la relation que cette image entretient avec la réalité. À l’opposé de l’idée répandue de médias prompts à monter au créneau, obstinés et omniprésents dans leur quête de vérité et leur indépendance à l’égard du pouvoir, nous avons décrit et appliqué un modèle de propagande dans lequel les médias assument effectivement une «fonction sociétale», mais qui n’est aucunement celle d’assurer au public la possibilité d’exercer un contrôle significatif sur les mécanismes politiques en lui offrant l’information requise pour «s’acquitter au mieux de ses responsabilités politiques». Au contraire, ce modèle de propagande laisse plutôt entrevoir que cette «fonction sociétale» des médias est en réalité d’inculquer et de protéger les objectifs économiques, sociaux et politiques de groupes privilégiés qui dominent la société locale et l’État. Cette fonction, les médias l’assument de différentes manières : à travers la sélection des sujets, la mobilisation de l’intérêt, le cadrage des questions, le filtrage des informations, l’insistance et le ton, ainsi qu’en maintenant le débat dans les limites d’axiomes acceptables. Nous nous sommes efforcés de montrer que les prévisions de ce modèle étaient réalisées, et souvent considérablement dépassées, dans la pratique des médias étudiée sur un échantillon d’exemples cruciaux. Nous partageons tout à fait le point de vue du juge Hugues, lui aussi cité par Lewis, au sujet du caractère fondamentalement indispensable «d’une presse vigilante et courageuse», sans laquelle le processus démocratique ne peut jouer de façon constructive. Mais tous les éléments que nous avons passés en revue démontrent au contraire que, dans la pratique, cette fonction n’est ni remplie ni même vaguement approchée.
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