«Tolérance : un pari sur l’avenir» de Joseph Mayton *

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* Joseph Mayton est le rédacteur en chef de l’organisme de presse Bikya Masr (www.bikyamasr.com). Article écrit pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews). Source: Service de Presse de Common Ground (CGNews), 1er octobre, www.commongroundnews.org

Reproduction autorisée.

Cairo (Idaho ) – L’Idaho est connu pour sa mentalité réactionnaire. Alors, lorsque mon père, professeur de psychologie au Lewis-Clark State College, m’a raconté que, pour la grande majorité de ses élèves (tous sauf un), le projet de centre islamique à New-York n’était pas une menace pour la société américaine, je fus sidéré.

Comment faisait-il? Très simple. Il projetait à ses étudiants des bandes d’actualité provenant de diverses sources – notamment FOX News, le The Daily Show de Jon Stewart, CNN et d’autres encore. Très important : avant de lancer les vidéos il leur demandait ce qu’ils savaient de la polémique. Seule une poignée d’élèves se targuait d’en savoir quelque chose, et ce qu’ils en savaient était limité et mal informé. Ils ne faisaient que répéter des choses vues ou entendues à la radio – et prononcées par des politiciens invités sur FOX News – voire tout simplement glanées dans la conversation ordinaire.

Juste après le visionnage des vidéos, la classe passait au débat. Après quoi ils disaient à mon père : « le centre a le droit d’être là ». Et d’ajouter : « aucun problème », les Américains musulmans ont le droit d’avoir un lieu bien à eux.

Que s’était-il passé dans leurs têtes ? Un mélange d’information et de dialogue. Grâce aux vidéos, ces étudiants, qui n’avaient pas vraiment vu la couverture médiatique sur le centre lui-même, ont pu mieux comprendre en profondeur les tenants et les aboutissants de la controverse. Ensuite, grâce au débat, ils se trouvaient forcés de présenter leur argument à partir de ce qu’ils avaient vu.

Plus encourageant encore, de nombreux élèves ont ensuite dit à mon père qu’ils avaient prolongé le dialogue avec d’autres amis et que, après leur avoir expliqué la situation, ces amis eux-mêmes en venaient à changer d’opinion au sujet du centre. En un sens, leur éducation, l’exercice de la pensée critique et la tolérance culturelle qu’ils avaient acquis leur permettait de miser sur l’avenir.

La réalité ainsi révélée par les élèves de mon père révèle le paradigme dérangeant dans lequel fonctionnent nos sociétés mixtes. Dans l’Idaho, le conservatisme peut être compréhensif, tolérant et fructueux. Mais s’ils n’avaient pas véritablement compris les enjeux du problème, ces étudiants auraient continué d’exister dans leur bulle, sans aucun rapport avec la réalité. Heureusement, il existe des gens dans ce pays, des professeurs entre autres, qui s’efforcent d’amener leurs étudiants à réfléchir par eux-mêmes.

Certes, le lavage de cerveau auquel se livrent les fanatiques sectaires fait peur. Mais ce qui est encore plus terrifiant c’est le désert de pensée critique dans lequel végète la jeunesse américaine. Toutefois, une éducation bien comprise peut changer les choses.

Depuis mon observatoire cairote, je vois que la débâcle du débat sur Park51 fait lever des sourcils, suscite bien des frustrations et confirme le préjugé qui voudrait que les Américains soient racistes et haïssent les musulmans de tout acabit.

Les Egyptiens comme les autres Arabes ont vu les actualités de FOX News qui s’efforcent de relier le projet Park51 et ses partisans au terrorisme et à l’extrémisme. Rien, en l’occurrence, qui puisse favoriser la tolérance dans une société mixte.

J’évoque ici l’enseignement de mon père parce que le même travail pourrait être exporté vers d’autres régions des Etats-Unis, voire au Moyen-Orient.

A mon avis, c’est au niveau du système d’enseignement qu’il faut situer le problème. Les écoles égyptiennes sont le plus souvent divisées selon des lignes confessionnelles entre musulmans et chrétiens, chacun de ceux-ci bénéficiant de leur propre « enseignement religieux » sans être exposés aux convictions des autres dans le contexte de la classe.

Loin de rectifier les préjugés, cette méthode accentue les méfiances réciproques. La société égyptienne est incapable d’avancer sur le terrain du dialogue et de la tolérance religieuse, en grande partie parce que les Egyptiens ne se comprennent pas les uns les autres. Ce constat rappelle étrangement le psychodrame qui se déroule à New York et partout en Amérique où les mosquées rencontrent l’opposition de la communauté non musulmane locale.

Dans les deux pays, le système d’enseignement est tel que les étudiants ne sont exposés qu’à un seul point de vue, sans aucun accès à la compréhension de l’ « autre », qui existe dans chacune de ces sociétés prises séparément. L’exemple de mon père démontre qu’un enseignement bien compris, forçant les élèves à analyser les problèmes sous des angles différents, permet à ceux-ci d’aborder dans le monde dans un esprit de justice et de tolérance.

Les jeunes d’aujourd’hui sont intelligents, ouverts et prêts à apprendre. Encore faut-il que leurs professeurs prennent le temps de révéler ce potentiel. Sinon, notre société américaine continuera de se quereller autour d’autres Park51.

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